QUELLE POLITIQUE EN FAVEUR DES MINEURS ISOLÉS ÉTRANGERS EN FRANCE ?


Jean-Louis DAUMAS, Directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse est intervenu lors du colloque "Mineurs isolés étrangers en quête de protection: quelles perspectives en Europe ?", organisé par France terre d'asile le 17 septembre 2012 à Paris. Voici l'intégralité de son disours:

"Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
La France, de même que d'autres Etats-membres de l'union européenne, accueille sur son sol plusieurs milliers de jeunes étrangers isolés. II s'agit là d'un phénomène qui n'a plus rien de temporaire, et dont au contraire l'ampleur s'est confirmée au cours des 15 dernières années, puisque ces jeunes seraient plus de 7500 aujourd'hui.

Ces jeunes, quand ils arrivent sur notre territoire, sont le plus souvent dans une situation de grande fragilité.
Mineurs, c'est-à-dire à la merci de tous les risques liés à leur âge, à la merci de réseaux criminels parfois. Isolés, de leurs parents, de leurs proches, subissant l'exil et la séparation. Ils sont marqués par les difficultés, voire les traumatismes de leur parcours, et par l'incertitude de leur devenir. Ils sont avant tout en attente de protection, qu'ils sachent exprimer ou non ce besoin.
Or notre organisation est complexe, nous leur opposons des procédures qui manquent toujours de clarté pour eux, nous n'avons pas systématiquement de réponse à leur apporter. Pourtant nous n'avons pas d'autre choix que de les protéger, de leur offrir un accueil digne et respectueux de leurs droits, les accompagner au mieux, et les aider à préparer leur avenir.
II s'agit là d'une obligation qui découle des textes internationaux ratifiés par la France. Je citerai à cet égard l'article 20 de la Convention internationale des droits de l'enfant : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'État. »
II découle de i'organisation de I'Etat dans notre pays et de la répartition des compétences que cette mission, en France relève principalement des départements. J'y reviendrai, mais cela veut dire que les acteurs de la prise en charge des mineurs isolés étrangers sont multiples.
Je sais combien tous ces acteurs, sont mobilisés, combien vous êtes mobilisés. Je connais l'étendue de votre dévouement, votre professionnalisme.
J'ai bien conscience aujourd'hui de m'exprimer devant une organisation qui a choisi très tôt de s'engager en leur faveur.
Cet engagement, il se traduit au quotidien par la présence que vous assurez auprès des jeunes, par l'écoute et l'accompagnement. II se traduit par tout l'appui et toute l'information que vous apportez pour faciliter leur parcours et leurs démarches, et pour les aider à comprendre des procédures souvent complexes auxquelles ils sont confrontés.
Votre engagement se traduit aussi par la force de réflexion et de proposition que vous représentez, et à ce titre je ne peux que vous confirmer combien ces réflexions, ces propositions, sont importantes et précieuses pour les pouvoirs publics.
Cet engagement, je tiens à le saluer au nom de la Garde des sceaux.
Toute cette action fait de vous aujourd'hui, sur cette question essentielle des mineurs isolés étrangers, un partenaire incontournable de toute initiative qui sera prise dans leur direction. La politique en faveur des mineurs isolés étrangers conduite par la France doit se décider et s'élaborer entre des acteurs multiples : Etat bien évidemment, collectivités territoriales, militants associatifs ; les choix qui seront faits, les solutions qui seront déterminées, seront le fruit de la concertation. Ils s'appuieront donc nécessairement sur les contributions de tous ces acteurs, donc sur vous.
A cet effet, la garde des Sceaux a souhaité la mise en place d'un groupe de travail réunissant notamment des associations et la votre, afin de pouvoir prendre appui sur le travail qui est fait depuis des années dans la prise en charge de ces mineurs.
Aujourd'hui à un stade où des évolutions majeures sont nécessaires.
C'est bien en ce sens que des initiatives ont d'ores et déjà été prises par le Ministère de la Justice.
Le Ministère de la Justice -sa direction de la Protection judiciaire de la jeunesse- s'est fortement impliqué en créant une mission dédiée à cette problématique, animée par Laurence VAGNIER, qui intervient aujourd'hui à votre colloque. Mais ce public, peut-être plus qu'un autre, relève d'interventions conjuguées et donc interministérielles.
D'autres ministères sont impliqués à divers titres : Ministère de la Santé et des affaires sociales, Ministère de l'Intérieur, des Affaires étrangères, des outres-mer. II incombe à chacun de se mobiliser dans son domaine de compétence, d'identifier les problèmes, de réfléchir aux solutions à mettre en place, dans le souci partagé de l'intérêt des jeunes, de leur devenir, de leurs perspectives.
Mais à côté de I'Etat, la collectivité de proximité, celle qui porte les politiques des personnes depuis la naissance, la petite enfance, puis plus tard, toutes les questions sociales et d'insertion jusqu'à la fin de la vie, cette collectivité, le département, nous le savons bien est par nature, directement concernée par l'accueil et la prise en charge au long cours des mineurs isolés étrangers, « privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille», comme l'indique l'article L.112-3 du code de l'action sociale et des familles.
Oui, ce sont bien les départements qui sont au cœur de cette problématique, parce qu'ils sont les acteurs principaux de la protection de l'enfance.
Mais cette mission est extrêmement lourde pour ceux qui la supportent.
Pour une première raison : les flux des arrivées se concentrent sur quelques territoires, et la charge qui en résulte est de plus en plus difficile à assumer pour ces départements. Plus de la moitié des jeunes étrangers isolés présents aujourd'hui dans l'hexagone sont accueillis en Ile-de-France. Paris et la Seine-St-Denis assument à eux deux la charge de plus de 2500 jeunes. Une vingtaine de départements accueille chacun plus de 100 jeunes étrangers isolés - alors qu'une autre vingtaine n'en accueille aucun ou presque. La situation de plusieurs départements d'outre-mer est plus préoccupante encore. Je pense bien sûr à Mayotte.
Par ailleurs, les procédures mises en œuvre à toutes les étapes de l'accueil révèlent de fortes disparités et donc de vraies différences de traitement entre les jeunes.
Pour toutes ces raisons, le précédent Garde des Sceaux avait constitué un groupe de travail entre I'Etat et les départements. Ce groupe s'est réuni à plusieurs reprises entre la fin de l'année 2011 et le premier trimestre 2012 ; il a associé des représentants de l'Assemblée des départements de France, et tous les ministères concernés. Les échanges au sein du groupe ont été denses, nourris de l'expérience, des positions et des attentes de chacun. Ils ont permis de jeter les premières bases des évolutions souhaitées par les départements.
Le président de la République vous a écrit avant les élections Présidentielles. II a notamment indiqué que le droit français comme les conventions internationales disent qu'un « mineur isolé est avant tout un mineur en danger et qu'il doit être pris en charge ». II a aussi précisé que «I’Etat a une responsabilité en la matière et ne saurait s'en décharger sur les départements comme c'est le cas aujourd'hui ».
C'est dans le respect de cet engagement que le Premier Ministre a relancé la réflexion.
La Garde des Sceaux, en lien avec tous les ministres concernés, entend aujourd'hui approfondir ces travaux afin de parvenir à la définition d'une véritable politique nationale en faveur des mineurs isolés étrangers.
En premier lieu, les responsabilités des uns et des autres doivent être précisées. Les départements resteront certainement les acteurs majeurs de la prise en charge pour les raisons énoncées plus haut et qui tiennent à la nature des compétences que le Législateur leur a attribuées, mais bien évidemment, I'Etat a un rôle essentiel à jouer pour que soient assurés au mieux, en harmonie avec les autres acteurs, l'accueil, l'éducation, la protection de ces jeunes.
II est vrai que sont régulièrement invoquées les compétences régaliennes de I'Etat en matière d'accueil des étrangers et de gestion des flux migratoires. Mais la prise en charge « au long cours » des mineurs isolés étrangers ne s'inscrit pas dans cette optique. Ces jeunes sont avant tout des mineurs qui sont en demande d'une protection, de fait cette mission doit être assurée par les départements compétents en matière de protection de l'enfance : il apparait sur ce point un large consensus.
Pour autant, toutes les parties prenantes s'accordent sur la nécessité d'une période préalable à cette prise en charge « au long cours ». Cette période est celle de l'évaluation qui ne peut se faire bien évidemment qu'en protégeant le jeune.
Ainsi, dès lors qu'il est supposé être un mineur isolé étranger, voire se présente de lui-même comme tel à une autorité ou une institution, la priorité est de le mettre à l'abri.
Un jeune évoluant seul en territoire étranger, sans ressources, loin de ses proches, et ne connaissant pas la langue, court des risques que l'on ne saurait sous-estimer, même si son parcours l'a en apparence endurci et habitué aux dangers de toutes natures.
Mis à l'abri, il doit bénéficier de tout le soutien matériel nécessaire pour satisfaire ses besoins primaires : nourriture, hébergement, mise à disposition d'équipements sanitaires, soins médicaux si besoin est.
Le jeune doit également, au plus vite, se voir délivrer, dans une langue qu'il comprend, une information sur ses droits, et sur les démarches pouvant être accomplies - comme par exemple la formulation d'une demande d'asile.
En parallèle, tous les moyens doivent être mis en oeuvre, au cours de cette phase préalable d'accueil, pour vérifier son identité et, le cas échéant, retrouver les membres de sa famille ou identifier leur lieu de séjour. Si, une prise en charge «au long murs » est envisagée, tous les moyens appropriés doivent être mis en oeuvre également pour vérifier sa minorité et s'assurer de sa situation d'isolement sur le territoire français- car ce sont bien exclusivement les mineurs isolés étrangers qui seront confiés à un service départemental d'aide social à l'enfance.
Cette phase est indissociable d'une première évaluation des acquis scolaires, les compétences, des souhaits du jeune, de manière à établir une première proposition d'orientation qui soit réaliste et conforme à son intérêt, et l'engage vers un projet d'avenir.
II y a donc une réflexion à approfondir sur la répartition des rôles entre I'Etat et les départements, entre la phase préalable de mise à l'abri et d'évaluation, et la prise en charge « au long cours » dans le cadre de la protection de l'enfance.
Cette clarification emporte la nécessité d'une réévaluation des textes, mais des évolutions textuelles ne seront envisagées que si elles sont absolument nécessaires. Le droit commun est conforme à nos principes et est une garantie de la qualité de la prise en charge de ces jeunes.
Cette clarification a par ailleurs l'avantage d'ouvrir la voie à des procédures harmonisées sur l'ensemble du territoire national afin de développer des approches identiques, quel que soit le lieu où le jeune est recueilli.
J'ai rappelé l'une des données importantes de la situation actuelle, à savoir le phénomène de très forte concentration des arrivées sur certains territoires. Certes cette situation a des explications : l'attractivité de certaines zones géographiques, les infrastructures et axes de communication, la présence de communautés étrangères, ou le poids des filières qui hélas organisent l'arrivée de ces jeunes et les orientent plus volontiers sur des territoires réputés plus ouverts et ayant développé davantage de possibilités d'accueil.
La question du rééquilibrage entre les départements se pose donc. Elle doit être débattue et résolue par des dispositions pérennes.
Car il n'y a aucune raison particulière pour qu'un jeune identifié comme mineur isolé étranger sur le territoire d'un département avec lequel il n'a, par définition, aucun lien, vers lequel le hasard d'un parcours chaotique ou d'un réseau de passeurs l'a conduit, aucune raison pour qu'il demeure à la charge financière de ce département plutôt que d'un autre. Et de même, il n'y a aucune raison de voir une dizaine de départements seulement, accueillir la moitié environ des mineurs isolés étrangers présents sur le sol français. Ceci d'autant plus, que des effectifs trop lourds à gérer compromettent la qualité de la prise en charge malgré tout le dévouement des équipes - alors que d'autres collectivités auraient les ressources nécessaires pour prendre leur part.
Cette mission doit être partagée, elle doit être l'expression d'une vraie solidarité républicaine entre collectivités, ce qui signifie que doit être envisagée l'hypothèse de la gestion des flux de mineurs isolés étrangers et leur placement dans les départements de manière rationnelle et équilibrée.
Telles sont les attentes des départements me semble-t'il mais nous allons certainement en débattre.
Définir un tel mécanisme de placement, juste et équilibré, est un véritable enjeu ; il doit devenir opérationnel dans le respect des textes qui organisent la répartition des compétences entre les collectivités.
L'accueil, la prise en charge, l'intégration des mineurs isolés étrangers présents sur notre sol constituent un vrai défi pour nous - comme pour les autres Etats-membres de l'union européenne.
N'oublions pas que toutes nos initiatives doivent être mises en œuvre dans le respect du cadre communautaire. Rappelons que dès 1997 le Conseil de I'Union européenne a pris une résolution pour définir les grandes lignes de la prise en charge des mineurs non accompagnés : cette première initiative a abouti le 6 mai 2010 à la définition d'un plan d'action sur 4 ans dans lequel la France inscrit son action, dans le souci d'une harmonisation des pratiques communautaires.
Nous sommes tous conscients des difficultés qui se posent à nous, qu'elles soient d'ordre juridique ou financier. Mais ces difficultés, nous devons les surmonter, car c'est notre devoir d'assurer la protection de ces enfants, de prendre sain d'eux et de leur offrir l'avenir qu'ils auront, dans toute la mesure du possible choisi.
Je vous remercie."
france terre d'asile
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