Quel constat faites-vous de la situation des droits de l’enfant en France ?
A l’évidence, d’une manière générale il vaut mieux naître en France que dans certains autres pays du monde… Pour autant, ce qui nous préoccupe, c’est que la situation de trop nombreux enfants se dégrade. De plus en plus d’enfants (et de jeunes : 1 sur 5 !) vivent dans des conditions précaires. 2 millions d’enfants pauvres, dont 600 000 mal logés et 20 000 sans domicile fixe, des mineurs isolés étrangers abandonnés à eux-mêmes, des enfants handicapés qui ne reçoivent pas la prise en charge dont ils ont besoin : les inégalités sont criantes, se creusent, et nous devons les combattre.
Tous les enfants devraient pouvoir vivre dans des conditions décentes ! Ils ont des droits, nous devons les respecter. Ils ont des besoins spécifiques, nous devons tout mettre en œuvre pour y répondre. Et c’est à l’Etat qu’incombe la responsabilité de donner le cap d’une politique de l’enfance cohérente et adaptée !
Quelle est, aujourd’hui, la politique de l’enfance en France ?
C’est bien le problème ! Nous n’avons pas véritablement de politique nationale, unique et visible, en direction de l’enfance. Plusieurs ministères et administrations sont en charge de questions qui concernent les enfants et les adolescents, mais ils fonctionnent de manière cloisonnée. Le rôle du ministère de l’Education nationale, par exemple, est important. Mais il ne peut pas, à lui seul, résoudre tous les problèmes liés à l’enfance, simplement parce que sa compétence s’arrête aux portes de l’école. Mais un enfant ou un adolescent n’est pas qu’un élève !
Il ne faut pas réduire l’enfance et l’adolescence à une succession de problèmes ou problématiques saucissonnées, sans vision transversale. Nous demandons une politique nationale porteuse d’une idée positive de l’enfance, qui promeuve l’idée de bien-être, de bien-devenir et d’épanouissement, et qui mette l’accent sur des actions de prévention. On ne fait pas assez de prévention en France !
Le ministère d’Etat à l’enfance et à l’adolescence demandé dans le Manifeste de l’Unicef est-il la solution ?
L’absence de portage politique fort est révélateur d’un manque d’ambition. La création d’un ministère d’Etat dédié à l’enfance nous apparaît donc nécessaire pour porter une vraie politique globale de l’enfance, en rassemblant des compétences aujourd’hui éclatées entre plusieurs ministères de manière à avoir plus de visibilité et d’impact. Aujourd’hui, nous avons seulement un secrétariat d’Etat en charge de la famille. Le lien de l’enfant avec sa famille est bien sûr fondamental, mais une politique familiale occulte parfois une politique en direction de l’enfance. Il nous faut un Ministère dynamique, qui dispose d’une bonne marge de manœuvre, qui soit prééminent pour peser, qui puisse porter, promouvoir et afficher les droits de l’enfant !
Dans la même logique, nous demandons la création d’un Observatoire national de l’enfance et l’élaboration d’un code de l’enfance et de la jeunesse.
Nous manquons cruellement d’indicateurs ! On dit que « 2 millions d’enfants vivent sous le seuil de pauvreté », mais ce chiffre date de 2005, ils sont peut-être beaucoup plus nombreux aujourd’hui ! Les indicateurs actuellement disponibles proviennent de sources éparses – ministère de l’Intérieur, de l’Education nationale, de la Justice, de la Santé, etc. –, avec des périmètres et des objectifs qui peuvent diverger. Un Observatoire national permettrait de dégager une visibilité globale de l’état et l’évolution de l’enfance en France, sur laquelle fonder une politique publique cohérente et adaptée.
Quant au code de l’enfance, il s’agit d’asseoir l’action portée par le Ministère sur un corpus législatif et réglementaire cohérent. Aujourd’hui, une multitude de codes intègrent des dispositions sur l’enfance – code civil, code de la santé, code de l’éducation… Et ces dernières années, l’idée d’un code de la justice pénale des mineurs a émergé. Cet émiettement constitue un frein.
Ce que l’Unicef préconise, c’est un Code unique. Il regrouperait toutes les dispositions normatives déjà existantes ayant trait aux enfants et aux adolescents, du point de vue éducatif, social et médico-social, sanitaire, civil ou encore pénal. Un tel code serait à n'en pas douter un facteur de lisibilité et de progrès pour l’enfance.
Il y a d’autres sujets importants : chômage, crise économique, réchauffement climatique… Pourquoi faire de l’enfance une priorité ?
D’abord, il ne faut pas sacrifier l’enfance. C’est le devoir de chacun d’entre nous, et le devoir de la collectivité tout entière que de la protéger. Ensuite, un enfant, c’est un futur adulte, concerné par tous les problèmes que vous citez… Et sans vouloir faire de déterminisme, l’enfance conditionne beaucoup de choses pour l’avenir. Un enfant qui grandit en situation précaire, qui a des problèmes de santé non pris en charge, qui est en souffrance, en difficulté scolaire, c’est souvent un jeune qui ensuite se retrouve dans ces mêmes conditions, et un adulte qui a du mal à s’insérer dans la société… Il ne faut pas attendre l’âge adulte pour les aider !
S’il y a bien un sujet central, qui doit être au cœur des politiques publiques, au socle de ce qui fait la Nation, à la base des perspectives d’avenir, c’est l’enfance ! Il est plus que jamais crucial de nous doter d’une politique nationale ambitieuse pour le bien-être et le bien-devenir de nos enfants. L’enfance doit rester une priorité nationale, a fortiori en période de crise.