Patrick Kanner est président du conseil général du Nord, qui prend en charge les « mineurs isolés étrangers ». Il ne « regrette pas » cette démarche humanitaire mais juge qu'elle favorise les mafias lorsqu'elle devient un système.
Vous financez dans le Nord la prise en charge des mineurs isolés étrangers, qui doit coûter 2,7 millions d'euros cette année. Pourquoi estimez-vous que cela devrait relever de l'État ?
>> On est pris entre le marteau et l'enclume, entre la compétence de l'Aide sociale à l'enfance, qui relève de notre responsabilité, et le sujet des migrations, qui relève de l'État. Pourquoi les Nordistes devraient-ils prendre en charge le fait que des mineurs arrivent chez nous, poussés par la misère ou la guerre, et aidés en cela par des filières mafieuses ? Cela doit relever de la solidarité nationale. Et je ne suis pas seul à le penser : en Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone a refusé de les prendre en charge. Et c'est pareil à droite : par exemple, le président du conseil général de la Haute-Marne, qui est UMP, a fait de même. On est dans une zone de non-droit. Nous, pour l'instant, on ne veut pas aller jusque-là car on a un espoir que l'État prenne le taureau par les cornes. Mais si une grosse vague de migrants devait arriver subitement, on ne pourrait pas continuer. Qu'il y ait un accompagnement de notre part, oui, mais ce sujet relève de la compétence de l'État.
Le précédent gouvernement refusait d'ouvrir des négociations à ce sujet. Avez-vous des espoirs d'avancées avec l'arrivée d'un nouveau pouvoir ?
>> Le gouvernement précédent nous a opposé une fin de non-recevoir. Concernant le nouveau pouvoir, nous avons vu Manuel Valls mercredi soir à Lille, lors d'un dîner de travail qui a été constructif. Nous avons abordé cette question. Le ministre a écouté ce que les représentants de collectivités avaient à lui dire, et il s'est engagé à travailler sur le sujet. Il faut que cette rencontre change la donne.
La prise en charge de ces mineurs coûte très cher, autour de 180 E par jour et par personne, alors qu'au final ils peuvent être expulsés à leur majorité. N'est-ce pas un investissement en pure perte ?
>> On est dans une démarche humanitaire que je ne regrette absolument pas. Ce que je dis, c'est que ça ne peut pas devenir un système, car cela favorise les filières mafieuses. De même, si on régularisait de manière automatique après la prise en charge de l'Aide sociale à l'enfance, il y aurait un appel d'air non maîtrisable.
Donc même si l'État prenait en charge ce sujet, cela ne réglerait pas le problème. Que faire alors, selon vous ?
>> Soyons humbles : il y a des sujets qui se règlent de manière simple : ce n'est pas le cas ici. La solution n'est pas « évidente ». Il nous faut prendre du recul pour répondre à ça. Mais justement, la solution ne se trouve pas dans les conseils généraux. Aujourd'hui, on ne fait que subir : des mineurs arrivent, on les prend en charge, ils s'enfuient, ou ils restent, ou ils s'intègrent. On ne maîtrise rien ! Il nous faut donc une politique claire. Il faut mieux maîtriser les flux de migrations, s'attaquer aux filières. Il ne faut pas subir, pour que le « coût » social devienne une richesse. En attendant, l'association des départements de France a proposé la création d'un fonds national dédié aux mineurs isolés étrangers, pour que ce problème soit assumé par toute la communauté nationale, et pas seulement par les départements qui attirent les migrants.w
PROPOS RECUEILLIS PAR BRUNO RENOUL