Plus de pitié pour les mineurs étrangers isolés

Laurence (le prénom a été changé) est éducatrice à l'ASE (Aide sociale pour l'enfance) dans les Hauts-de-Seine. Il y a quelques semaines, un adolescent « mineur étranger isolé » se présente dans son service. Elle dénonce le mauvais accueil fait au garçon. Mamadou (le prénom a été changé) dit avoir 16 ans et serait arrivé en France via l'Espagne grâce à des passeurs.


Laurence rapporte ce que le jeune a raconté de ses premiers mois en France :

« Arrivé à Paris, il a vécu de petits emplois, dormi en foyer ou dans le coin d'une gare. »

Pour dormir au chaud, il faut payer une dizaine d'euros le bout de matelas dans une chambre surpeuplée. Les travailleurs sociaux le savent tous.

Le rôle du département

Selon le ministère de la Justice, il y a avait environ 6 000 mineurs étrangers isolés en France en 2010. Selon la loi, ces enfants doivent être protégés au même titre que n'importe quel autre enfant.

Depuis les lois de décentralisation, l'Etat a confié la protection de l'enfance au département. Mamadou s'est donc renseigné et il a obtenu les coordonnées d'un service d'aide à l'enfance dans les Hauts-de-Seine. Laurence poursuit :

« Il s'est présenté un jour à 17 heures, après avoir terminé une journée de main d'œuvre sur un marché. Dans la salle d'attente, il est sommé de s'expliquer : qui lui a donné l'adresse de l'ASE ? Pourquoi vient-il à cette heure et non le matin ? Ou sont ses affaires ? Que vient-il faire en France ? Finalement, on lui demande de revenir le lendemain matin. »

Lors de son second rendez-vous, « il est reçu par un éducateur et le directeur. Tout ce qui compte, ce sont ses justificatifs. Il dit avoir moins de 16 ans ? Qu'il le prouve. »

La minorité donne droit à une protection. Mais interdit aussi l'expulsion. Cette preuve est donc lourde en conséquences.

« Par chance, Mamadou avait une copie de son acte de naissance. Mais c'est une copie et non un original certifié. Ce n'est pas valable. On lui dit qu'il a les traits du visage d'une personne plus âgée. On lui demande donc, de s'en aller. »

La porte du service de l'Aide sociale à l'fnfance se referme. Laurence conclut :

« Il est 10h15, ce vendredi 27 janvier, il fait -8°C. »

Ce qu'il aurait dû se passer

Jugé majeur « au faciès », le cas de Mamadou a été expédié en cinq minutes. Normalement, il aurait dû être redirigé vers une plateforme d'accueil. Damien Nantes, directeur de l'association Hors la rue, qui vient en aide aux mineurs étrangers en danger, explique :

« L'ASE délègue une partie de la prise en charge des mineurs étrangers isolés aux associations. »

Par exemple, si un jeune se présente à l'ASE de Seine-Saint-Denis, il sera orienté vers la plateforme d'accueil de la Croix-Rouge. Juste en face du commissariat principal de Bobigny...

C'est ici que l'on détermine l'âge des enfants. Dans l'un de ses récents articles, Jean-Luc Rongé, directeur du Journal du droit des jeunes, critique cette manière de faire :

« Au mois de novembre, sur 90 mineurs reçus à la plateforme de Seine-Saint-Denis, seuls 36 ont été reconnus comme mineurs, les autres ayant été considérés comme majeurs après un examen radiologique des os requis par le parquet… Hors de toute procédure légale, car ne respectant ni les procédures relatives à l'état des personnes, ni le consentement de la personne et en ne lui garantissant aucune voie de recours. »

Les longs mois d'attente



VOIR LE DOCUMENT
(Fichier PDF)
Damien Nantes complète :

« Le jeune, reconnu mineur, devra encore attendre de longues semaines, voire de longs mois avant de rentrer dans les dispositifs d'aides à l'enfance. »

La procédure est ultra-complexe [voir document ci-contre], floue, les places manquent. En janvier, lors de ses maraudes, l'association Hors la rue a estimé entre 5 et 10 le nombre de mineurs étrangers, chaque nuit, seuls dans les rues de Paris.

Les départements débordés

Certains conseils généraux contestent devoir assumer sur leurs deniers cet aspect-là de la protection.

Dans une question publiée au Journal officiel, la députée socialiste Marie-Françoise Pérol-Dumont affirme :

« Face à des flux migratoires de plus en plus importants et au regard de la situation financière extrêmement dégradée des conseils généraux, des moyens financiers supplémentaires doivent mobilisés dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés. »
Le vrai problème : le mineurs étrangers isolés sont concentrés en région parisienne. Quelques départements, engorgés par les dossiers, assument la quasi-totalité de ces enfants. Sans pour autant recevoir de moyens supplémentaires.

En juillet, Claude Bartolone, député et président du conseil général de Seine-Saint-Denis, écrit sur son blog :

« Aujourd'hui, l'aide sociale à l'enfance de Seine-Saint-Denis prend en charge plus de 850 de ces jeunes. La situation n'est plus tenable ni pour nos services, ni pour nos finances. »

Après un partie de bras de fer entre l'Etat et le département, la Seine-Saint-Denis a obtenu de ne plus accueillir qu'un mineur sur dix. Les neuf autres sont répartis par le parquet de Paris sur le reste du territoire. A toutes fins utiles, on remarquera qu'il n'est aucunement prévu de recueillir l'avis de l'enfant sur cette affectation.

Résultat : les départements limitrophes, comme les Hauts-de-Seine, là où s'est présenté Mamadou, connaissent un afflux massif de mineurs étrangers isolés qu'ils ne peuvent pas gérer.

L'éducatrice a livré ce témoignage par révolte. Elle conclut :

« Faut-il attendre de retrouver un mineur étranger isolé mort de froid dans les rues de Paris pour se poser les bonnes questions ? »rue89.com
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