Certains sont expulsés juste après avoir atterri à l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. D'autres, entrés en France par voie terrestre, attendent désespérément dans les couloirs du tribunal de la préfecture de Seine-Saint-Denis, passent leurs nuits dehors, place du Colonel-Fabien, à Paris, ou errent dans les villes du Nord ou du Pas-de-Calais. Avec, pour chacun, l'espoir d'être reçu par un juge des enfants ou d'être accueilli par les services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Deux ans après le très officiel rapport de la sénatrice Isabelle Debré (UMP) sur " Les mineurs isolés étrangers (MIE) en France ", la situation de ces enfants et adolescents non accompagnés venus d'ailleurs ne s'est guère améliorée dans notre pays.
Amorcé au début des années 1980 par des jeunes venus d'ex-Yougoslavie, le mouvement d'exil de MIE vers la France s'est accéléré depuis le milieu des années 1990. Selon diverses estimations, les MIE seraient entre 4 000 et 8 000 aujourd'hui en France, issus majoritairement d'Afrique noire (40 % - Mali en tête), d'Asie (30 % - principalement Afghanistan, Inde et Chine), mais aussi d'Europe (15 % - Ukraine et Roumanie, surtout) et du Maghreb (14 %).
En étudiant les raisons qui ont conduit ces enfants à quitter leur pays, la sociologue Angelina Etiemble a pu dresser une typologie des MIE. Elle distingue cinq catégories [1]. Les " exilés " : ils fuient une région en guerre, les persécutions ou l'enrôlement forcé ; les " mandatés " : envoyés en Occident par leurs parents pour échapper à la pauvreté et étudier ou travailler pour envoyer de l'argent ; les " exploités " : victimes de la traite (prostitution, vols, mendicité), ils sont contraints au travail clandestin et illégal ; les " fugueurs " : ils s'éloignent de leur famille ou d'une institution suite à des tensions ou des mauvais traitements ; et enfin, les " errants " : ils vivaient dans la rue dans leur pays d'origine et ont franchi plusieurs frontières au cours de leur parcours.
Parcours du combattant
Que deviennent-ils sur le territoire français ? Signataire des textes internationaux sur les droits de l'enfant, la France devrait les considérer pour ce qu'ils sont : des enfants privés du soutien de leur famille ou d'un tuteur. Et en principe, la loi française est claire : tout mineur " en danger " relève de la responsabilité directe de la Protection de l'enfance, sans condition de nationalité. Bien que les zones d'attente dérogent à cette règle (lire p. 60), un MIE est donc inexpulsable une fois entré sur le territoire.
La responsabilité de protéger ces jeunes est assumée depuis 1982 par les départements dont le rôle a été précisé en 2007. Or voilà que sous l'effet de l'augmentation du nombre de MIE et de leur concentration dans une poignée de départements (Paris et la Seine-Saint-Denis en accueillent les deux tiers), des élus et responsables locaux ont fini par s'insurger, comme Claude Bartolone (PS), qui est allé jusqu'à suspendre leur accueil dans " le 9-3 " (lire p. 59). Les MIE pris en charge ne représentent pourtant que 4 000 des 120 000 mineurs accueillis par l'ASE en France métropolitaine, soit moins de 3,5 %. Leur proportion est certes beaucoup plus forte dans certains départements (19,5 % pour la Seine-Saint-Denis, en 2011), mais la question n'est pas vraiment celle des moyens.
" Le vrai débat sur les MIE est que leur statut d'enfant devrait primer sur leur qualité d'étranger ", précise Sophie Laurant, juriste et coordinatrice à InfoMIE, un centre de ressources sur les MIE. Mais dans la pratique, l'ambiguïté est forte. Car à l'exception de la loi de 2002 qui prévoit la nomination d'un administrateur ad hoc pour représenter les MIE en zone d'attente (lire p. 61), le terme de " mineur isolé étranger " n'a aucune référence explicite en droit français. Ce flou juridique n'est pas anodin. Il entretient une confusion dans les responsabilités administratives et judiciaires à leur égard. Car soit l'État est directement responsable du mineur étranger dans le cadre de sa politique migratoire, soit la responsabilité de ce mineur étranger incombe aux seuls départements.
De Conakry à Marseille, contre vents et marées
Franck Seuret
Amadou Camarra a vécu près d'un mois avec la peur au ventre. La faim et la soif, aussi. Ce grand gaillard de 16 ans à la voix étonnamment douce, presque craintive, a quitté son pays, la Guinée, caché dans la cale d'un bateau qui appareillait pour la France. Avec une escale à Dakar, au milieu. " J'ai embarqué à Conakry fin février. Et j'ai débarqué, à Marseille, le 28 mars ".
" L'aventure " était risquée. Il le savait, pour avoir vu et entendu à la télé les récits des rares clandestins survivants, jetés par-dessus bord après avoir été découverts. " Mais j'ai décidé de prendre le risque. Je n'avais pas grand-chose à perdre ", répond Amadou. Son père est mort quand il était encore bébé et sa mère est décédée en 2008. L'oncle, auquel sa soeur et lui ont été confiés, n'avait pas les moyens de nourrir et d'éduquer ces deux bouches.
Amadou a donc appris à se débrouiller seul, travaillant ici ou là comme apprenti coiffeur, apprenant la langue de Molière dans la rue, en empruntant les cahiers de ses copains qui allaient à l'école. " J'ai pris la décision de tenter ma chance en France ", raconte-t-il dans un français bien maîtrisé. " On m'avait dit que des associations s'occupaient des jeunes, ici ". Depuis qu'il est arrivé à Marseille, Amadou est suivi par l'Addap 13, une association de prévention qui accompagne des jeunes mineurs isolés dans les Bouches-du-Rhône (lire page 60-61). Près d'un mois après le premier contact avec une éducatrice, il attend avec une impatience résignée que le juge des enfants le place en foyer. Car il n'a personne chez qui loger. " Je suis déçu par le peu de solidarité des Africains que je croise. "
Amadou semble abattu. Fatigué par ce parcours épuisant, physiquement et nerveusement. Il dort dans la gare, blotti sous une couverture que lui a donnée l'association, en même temps que des vêtements et des chaussures.
Il passe une partie de ses journées dans les locaux de l'Addap 13 pour rencontrer d'autres jeunes, suivre des cours de français, mais aussi se doucher et manger ses seuls repas, vu qu'il n'a pas un euro en poche.
Le reste du temps, il marche dans les rues de Marseille, sa sacoche sous le bras. À l'intérieur, dans une pochette en plastique, une lettre attestant qu'il est bel et bien accompagné par l'Addap 13. Utile ! " Je la présente aux policiers qui me contrôlent. Ils appellent l'association pour vérifier et ils me laissent partir. "
Son avenir, Amadou le voit ici, en France. " Une fois placé en foyer, j'aimerais suivre une formation à la coiffure pour trouver un travail ici et pouvoir aider ma soeur restée en Guinée. "
Cette ambivalence juridique, en France comme en Europe (lire p. 62), rend ubuesque le parcours de ces jeunes. Dans son rapport 2005, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) soulignait l'hétérogénéité de la gestion des MIE d'un département à l'autre. Ici ou là, des systèmes dérogatoires ont été élaborés - comme le dispositif d'accueil et d'orientation mis en place à Paris, véritable " sas " avant la prise en charge officielle par l'ASE - et ils traduisent une forme de discrimination ethnique.
Dans tous les domaines (logement, santé, éducation, asile), les MIE se voient imposer un parcours du combattant. Sans oublier le passage à la majorité qui les place sous la menace de l'expulsion. Selon les données de son parcours (ancienneté à l'ASE, formation qualifiante, problèmes avec la police), le jeune obtiendra à 18 ans, ou la nationalité française de plein droit, ou un titre de séjour renouvelable. Ou encore un strict refus en préfecture pour l'un et l'autre, avec le risque d'une reconduite à la frontière.