L’État s’engage dans le dossier des mineurs isolés étrangers

Attendu depuis plusieurs mois, le nouveau dispositif de prise en charge des mineurs isolés étrangers a été mis en place vendredi 31 mai 2013 par une circulaire du garde des Sceaux Christiane Taubira. Issu d’un accord entre le ministère de la justice et l’Assemblée des départements de France, il consacre la responsabilité de l’État en la matière et organise la répartition des jeunes entre tous les départements de France.
Les mineurs isolés étrangers désormais répartis entre tous les départements
L’État s’engage clairement dans le dossier des mineurs isolés étrangers (MIE), au grand soulagement des départements. Depuis une quinzaine d’années, le nombre de jeunes étrangers arrivant seuls en France ne cesse d’augmenter. Le gouvernement parlait de 6 000 MIE en 2008 sur le territoire français. Ils seraient aujourd’hui près de 8 000. Mais il est difficile de les dénombrer puisque, précisément, ils entrent de manière illégale en France et échappent donc souvent aux recensements.
Ces jeunes viennent généralement pour fuir une situation socio-économique délicate dans leur pays d’origine et ils sont peu à demander l’asile : à peine 10 à 15 %.

Ils tombent alors dans le champ de responsabilité de la protection de l’enfance qui relève de la compétence des départements. Le conseil général compétent pour prendre en charge le jeune étant celui sur le territoire duquel il a été découvert, deux départements se trouvent ainsi en première ligne : Paris et la Seine-Saint-Denis (où est implanté l’aéroport de Roissy).
Les services d’aide sociale à l’enfance de Paris et de la Seine-Saint-Denis sont saturés et des appels à l’État ont été lancés dès le milieu des années 2000. Entre 2003 et 2009, le budget parisien consacré aux MIE est passé de 25 à 40 millions d’euros. Celui de la Seine-Saint-Denis atteint 15 millions d’euros en 2009. Malgré un rapport de la sénatrice Isabelle Debré en 2010, faute de solutions, en octobre 2011, Claude Bartolone, alors président du conseil général de Seine-Saint-Denis, refusa toute nouvelle prise en charge de MIE si l’État ne soutenait pas le département (AJDA 2011. 1652 ).
Le procureur au cœur de la procédure d’évaluation
L’État élabora alors un dispositif transitoire, mis en place en novembre 2011, selon lequel le parquet est chargé de répartir les jeunes arrivés en Seine-Saint-Denis dans le « grand bassin parisien » (21 départements) selon les places disponibles.
C’est justement de ce dispositif que s’inspire la circulaire signée le 31 mai 2013 par le garde des Sceaux. Adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel, elle place le procureur au cœur de la procédure d’évaluation et de placement des MIE (V. encadré), elle garantit une « péréquation » dans la répartition des jeunes dans tous les départements du pays et assure aux départements le financement par l’État des cinq premiers jours d’accueil sur une base forfaitaire.
Les premiers jours, en effet, sont cruciaux : nombre de jeunes se présentant comme mineurs pour profiter de l’interdiction d’expulsion posée à l’article L. 511-4 du CESEDA sont en réalité majeurs. Les jeunes arrivent souvent sans document d’état civil ou avec des documents à l’authenticité suspecte, l’administration devant alors déterminer leur âge pour savoir s’ils peuvent bénéficier de l’aide sociale à l’enfance. La circulaire pose donc le principe d’une évaluation de l’âge par un faisceau d’indices : entretien avec le jeune par un personnel qualifié, vérification de l’authenticité des documents d’état civil, puis, si le doute persiste, réalisation d’une expertise médicale.
En clair, l’État est replacé au centre du dispositif. Pour l’Assemblée des départements de France (ADF), « l’État se responsabilise, et c’est une grande victoire ». L’ADF et l’État ont en effet négocié un protocole d’accord dont s’inspire la circulaire.
Le pilotage du dispositif par l’État est renforcé par la création d’une cellule nationale au sein du ministère de la justice, chargée de répartir les jeunes dans tous les départements quel que soit celui où ils sont arrivés. Pour éviter toute contestation, le dispositif prévoit une répartition objective correspondant à la part de population de moins de dix-neuf ans dans chaque département.
« La reprise du dispositif de 2011 par le garde des Sceaux est une consécration pour notre département, se réjouit Stéphane Troussel, président du conseil général de Seine-Saint-Denis. Cette solution honore le gouvernement, et je salue le travail de Christiane Taubira et de l’ADF ». Le département de M. Troussel voit, en effet, la solution provoquée par son prédécesseur Claude Bartolone en novembre 2011 reprise au niveau national. « Le nombre de mineurs étrangers isolés accueillis par le département s’est stabilisé grâce au dispositif, malgré une hausse constante des arrivées. Cette solution montre que les choses peuvent fonctionner si tout le monde se mobilise »
Suivi et évaluation du dispositif
Le protocole d’accord entre l’État et l’ADF prévoit une évaluation du dispositif au bout de douze mois « sous ses aspects opérationnels et financiers ». Un rapport conjoint de l’IGAS, de l’IGA et de l’IGSJ complétera l’évaluation. Enfin, un comité de suivi sera mis en place, comportant des représentants de l’État, des départements et des associations.
Le parquet au cœur du dispositif
Avant la mise en place du dispositif de 2011 dans la région parisienne, le juge des enfants, au titre des articles 375 et suivants du code civil, était le plus souvent chargé d’évaluer la situation du jeune isolé étranger et d’ordonner éventuellement son placement dans une structure sociale du département. La circulaire du 31 mai 2013 vient toutefois consacrer la solution mise en place depuis deux ans en Île-de-France et rend le procureur incontournable. Le juge des enfants devient quasiment absent de la procédure.
Une fois l’enfant repéré, le conseil général doit effectuer les investigations nécessaires pour déterminer si l’enfant est mineur et en danger. Cet accueil provisoire, financé forfaitairement par l’État (250 € par jour), peut durer cinq jours au maximum, au terme desquels le président du conseil général saisit le procureur de la République. Ce dernier prend alors une ordonnance de placement dans un département selon une grille des placements actualisée par une cellule nationale. Le procureur du lieu de placement doit alors saisir le juge des enfants dans les huit jours après l’arrivée du jeune.
La circulaire précise que si la période d’évaluation de cinq jours ne suffit pas, le conseil général doit en informer le procureur, qui peut ajouter huit jours. S’il est alors établi que le jeune est bien un MIE, le procureur saisit le juge des enfants et requiert le placement dans un département. S’il n’est toujours pas établi qu’il est un MIE au bout des huit jours, il saisit aussi le juge des enfants et requiert un placement dans le conseil général d’arrivée jusqu’à la fin de l’évaluation.
Quel recours pour les mineurs ?
La circulaire privilégie donc le procureur au détriment du juge des enfants en se fondant sur l’article 375-5 du code civil, qui prévoit l’intervention du procureur en cas d’urgence. « Le procureur instruit à la place du juge des enfants, alors que ce dernier aurait très bien pu faire la péréquation entre les départements, soutient Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny et militant des droits de l’enfant. Cela rassure le gouvernement, car il peut donner des instructions aux procureurs et pas aux juges des enfants ».
L’inconvénient, c’est que la circulaire ne prévoit rien en matière de recours ou d’information du mineur. « L’enfant peut saisir le juge des enfants [article 375 du code civil], mais encore faudrait-il qu’il le sache, précise Jean-Pierre Rosenczveig. Ça ne me choque pas que le procureur soit l’autorité de droit commun en la matière, mais alors il faut qu’il y ait un droit au recours, au contradictoire et à la défense. Aujourd’hui, c’est le cas même pour les décisions d’administration ».
De nombreuses questions laissées en suspens
La circulaire du 31 mai répond à certaines préoccupations des départements, mais des difficultés semblent loin d’être réglées malgré la reprise en main de l’État. Le Défenseur des droits, Dominique Baudis, s’était ému à plusieurs reprises de la situation des mineurs isolés étrangers, notamment dans une recommandation du 19 décembre 2012. Mis au fait des orientations du nouveau dispositif, il a adressé un courrier au garde des Sceaux le 30 avril 2013.
Le doute sur l’âge doit bénéficier au jeune
M. Baudis y insistait notamment sur le caractère discutable du recours à certains tests médicaux. Selon la circulaire, ces examens osseux ne doivent être pris en compte qu’en cas de doute sur les documents d’état civil et au travers d’un faisceau d’indices. Et si le doute persiste sur l’âge, il doit bénéficier au jeune, a indiqué Christiane Taubira dans un courrier du 29 mars à Dominique Baudis. Le délai de cinq jours financé par l’État pendant lesquels le jeune doit faire l’objet d’une évaluation de sa situation semble pourtant assez court. Pendant cette période, le conseil général doit déterminer l’âge du jeune, définir s’il est en situation de danger, déterminer ses motivations… Le Défenseur des droits relève, dans son courrier du 30 avril, que la prise en charge par un service social prend plusieurs semaines à Paris. Un délai aussi court pourrait donc pousser les départements à se passer d’une évaluation poussée, au risque de refuser des jeunes réellement mineurs.
La circulaire laisse de côté les éléments ayant trait à l’installation des MIE en France, notamment à leur majorité. Christiane Taubira, dans sa réponse du 29 mars 2013 aux recommandations du Défenseur des droits de fin 2012, assurait que tout était fait pour que les mineurs aient accès à la scolarité et à l’apprentissage. Le problème est que, notamment pour l’apprentissage, l’administration réclame en général un passeport dont les jeunes sont la plupart du temps dépourvus. De même, arrivés à la majorité, les mineurs ont des difficultés à obtenir un titre de séjour du fait de l’absence de passeport. De nombreux jeunes peinent alors à élaborer un projet de vie et se contentent de bénéficier d’une mise à l’abri par les services du département.
Enfin, l’effectivité du nouveau dispositif dépendra largement du bon vouloir des départements. Plusieurs conseils généraux du bassin parisien refusent déjà d’accueillir les MIE qui leur sont désignés après leur arrivée en Seine-Saint-Denis. Les départements de l’Eure-et-Loir et des Hauts-de-Seine ont d’ailleurs demandé l’annulation de la note du ministère de la justice ayant mis en place le dispositif de novembre 2011 après la « grève » de Claude Bartolone. Une décision du Conseil d’État est attendue dans les semaines qui viennent. Une annulation risquerait de remettre en question la légalité de la circulaire du 31 mai 2013, obligeant alors le gouvernement à revoir entièrement le dispositif.
dalloz-actualite.fr
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