C. LA QUESTION DE LA PRISE EN CHARGE DES MINEURS ÉTRANGERS ISOLÉS
D'après le rapport établi par notre collègue Isabelle Debré en mai 2010 à la demande du Premier ministre, le nombre de mineurs étrangers isolés présents sur le territoire national peut être évalué entre 4 000 et 8 000 (4 000 mineurs isolés bénéficiant d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance selon l'Assemblée des Départements de France).
Si les pays d'origine sont très variés, le croisement des données, notamment des conseils généraux, montre que ces mineurs viennent majoritairement du Mali, d'Afghanistan, d'Inde, de Chine, des territoires palestiniens, du Congo, de la République démocratique du Congo, d'Angola, du Pakistan et du Maroc.
Selon les années et les départements, les nationalités sont plus ou moins représentées : la Seine-Saint-Denis recense peu d'Afghans, contrairement au Pas-de-Calais et à Paris. La présence d'enfants Roms est spécifique à Paris.
Aux termes de l'article L. 112-3 du code de l'action sociale et des familles, la prise en charge des mineurs étrangers isolés relève de la compétence des services d'aide sociale à l'enfance des conseils généraux.
Ce point fait débat. Comme l'écrit notre collègue Isabelle Debré dans son rapport précité, « globalement, la gestion du phénomène migratoire des mineurs isolés est perçue comme une charge par les départements concernés, dont les exécutifs ont le sentiment qu'elle leur incombe par défaut. En d'autres termes, ceux-ci considèrent que l'Etat devrait exercer son rôle de chef de file dans le dispositif d'accueil des mineurs isolés étrangers, le contrôle des flux migratoires relevant de sa compétence régalienne, et que c'est en raison de la carence étatique qu'une réponse a dû être organisée localement. Les élus départementaux considèrent en outre que leur compétence générale en matière de protection de l'enfance ne saurait être mise en avant par l'Etat pour justifier sa propre absence de réponse à un phénomène qu'ils disent subir largement.
« Le Pas-de-Calais, le Nord, Paris et la Seine-Saint-Denis sont les départements les plus affectés par l'afflux des mineurs isolés étrangers [...].
« L'acrimonie des élus est d'autant plus vive qu'ils ont le sentiment de financer, au titre de la fiscalité locale pesant sur leurs seuls administrés, une politique d'accueil généreuse qui justifierait une solidarité nationale ou, à tout le moins, interdépartementale »32(*).
A la suite de ce rapport, le Premier ministre a décidé, le 30 décembre 2010, de confier au ministère de la Justice une mission de coordination de l'ensemble des acteurs, afin d'améliorer l'accueil et la prise en charge de ces mineurs. En raison de son savoir-faire et de sa présence sur l'ensemble du territoire, la DPJJ s'est vu attribuer cette nouvelle mission, et a mis en place en janvier 2011 une direction de projet pour assurer celle-ci.
Cette dernière a entrepris de mettre en place une concertation avec l'ensemble des ministères concernés par la question des mineurs étrangers isolés (droit au séjour, prise en charge, santé, insertion). Au niveau territorial, elle a incité, sous l'égide des préfets et à l'initiative des directeurs territoriaux de la PJJ, à la mise en place de plateformes territoriales de coordination.
Elle a également pris plusieurs initiatives devant aboutir à l'amélioration de l'accueil et de la prise en charge de ces mineurs : développement de la formation des différents acteurs ; construction d'un outil de mesure et de suivi des mineurs étrangers isolés ; mobilisation des financements prévus dans les différents programmes européens ; recueil et diffusion de bonnes pratiques ; relance de la coopération avec certains pays d'origine, notamment la Roumanie.
La prise en charge des mineurs étrangers isolés présente en effet des spécificités. Ainsi l'accompagnement éducatif suppose-t-il un apprentissage du français pour les jeunes non francophones, préalable à l'élaboration d'un projet d'insertion. Les traumatismes vécus dans le pays d'origine ou lors du parcours du jeune, l'exil et la situation d'isolement nécessitent souvent un accompagnement psychologique adapté, de même que le traitement de pathologies spécifiques. Il est noté que seuls 10 % d'entre eux environ présentent une demande d'asile alors que, d'après les informations communiquées par le ministère de la Justice, une proportion bien supérieure d'entre eux pourrait s'engager dans cette procédure.
Le retour volontaire dans le pays d'origine de l'enfant peut parfois apparaître comme une solution adaptée, dès lors que ce retour présente des garanties, recueille l'adhésion de la famille lorsqu'elle est identifiée et que ce retour est organisé en lien avec les autorités locales, de manière à ce que de réelles perspectives soient offertes au jeune. Ces conditions sont toutefois rarement réunies et les retours sont exceptionnels.
S'agissant du financement de ces prises en charge, face à la vive inquiétude des départements « d'accueil » quant à leur capacité à assumer une charge budgétaire importante, une réunion s'est tenue le 5 octobre dernier entre le garde des Sceaux, l'Assemblée des départements de France et M. Claude Bartolone, président du conseil général de Seine Saint-Denis. Une série de mesures depéréquation ont été annoncées afin de permettre la répartition entre l'ensemble des départements de France de la prise en charge des mineurs isolés, afin de ne plus la faire reposer sur les seuls départements d'accueil. Un groupe de travail régulier entre l'ADF et le ministère de la Justice a été mis en place pour suivre cette question.
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En conclusion, pour l'ensemble des motifs qui viennent d'être évoqués, votre commission des lois ne peut qu'appeler le Gouvernement à différer la mise en oeuvre de son programme de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés tant que les conditions budgétaires imposées à la PJJ ne lui permettront pas de garantir que l'ensemble des décisions des juges des enfants sont exécutées dans des conditions satisfaisantes.
Elle a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « protection judiciaire de la jeunesse » au sein de la mission « justice » du projet de loi de finances pour 2012.
* 32 Rapport de Madame Isabelle Debré, sénateur des Hauts-de-Seine, parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, mai 2010, page 47.
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