Caroline Brothers, une journaliste chevronnée, travaille à l'International Herald Tribune et au New York Times. Elle vit à Paris et vient de publier son premier livre intitulé « Hinterland » racontant l'histoire de deux enfants, Aryan et son jeune frère Kabir, qui entreprennent un voyage épique depuis leur Afghanistan natal vers l'Europe en quête de sécurité et d'une vie décente. Cette journaliste australienne a récemment été interviewée par William Spindler, chargé d'information au HCR.
Vous avez écrit des articles sur les problèmes de l'asile et de l'immigration depuis plusieurs années. Pourquoi avez-vous décidé d'en faire un livre ?
Quand je rédigeais le manuscrit pour Hinterland, je ressentais fortement que certaines voix manquaient au débat. Le problème de la migration semble générer des réactions épidermiques de la part des populations des pays occidentaux – chacun ayant sa propre opinion sur le sujet – et pourtant il semblait très difficile d'entendre la voix des migrants, eux-mêmes concernés par ce débat.
Alors ce livre est né de la curiosité et du désir de placer leur récit au centre du débat. J'ai également ressenti que des questions fondamentales étaient en jeu et j'ai voulu les étudier au calme, loin des clameurs et de l'agitation, selon toutes leurs facettes.
C'est lors de ma découverte, à ma grande stupéfaction, que les enfants étaient pris dans la misère et le fouillis de l'immigration clandestine des adultes que l'urgence d'en faire un livre s'est faite ressentir. Je devais à tout prix tenter de rentrer en contact avec ces enfants, et ce différemment par rapport à la préparation d'articles publiés dans un quotidien. Je voulais qu'ils passent du temps avec mes personnages, et peut-être accéder à eux de façon plus originale. Il n'y a pas tant d'espace que ça dans un article de presse, et pour moi un livre était la meilleure formule pour véhiculer le poids et transmettre l'émotion de leurs récits.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la question des enfants afghans non accompagnés en Europe ?
J'avais passé plusieurs jours à Calais dans le cadre de mon travail avec une formidable photographe de l'Agence Magnum, Susan Meiselas, et à Dunkerque, nous avons rencontré deux enfants afghans qui avaient tout juste huit ans. Ils avaient voyagé avec des proches – l'un avec son frère aîné et l'autre avec son oncle ou son cousin. Je n'avais pas réalisé à ce moment-là qu'ils faisaient partie d'un phénomène plus large d'enfants afghans en transit à travers l'Europe, auquel j'ai alors été sensibilisée inconsciemment.
Plus tard, de retour à Paris, j'ai vu de jeunes Afghans se faufiler à travers une clôture pour dormir au milieu d'un parc situé dans la rue où j'habitais. J'ai commencé à leur poser des questions et j'ai appris qu'un petit abri y avait été monté pour les mineurs. Alors j'ai fini par aller les rencontrer pour parler avec eux, je me suis mise à étudier les statistiques sur l'asile qui commençaient à être enregistrées par classes d'âge ainsi que par nationalités. J'ai alors réalisé que j'avais abordé un problème bien plus étendu que celui auquel j'avais d'abord pensé.
Que motive les enfants à entreprendre un voyage si dangereux ? Quels sont leurs craintes et leurs rêves ? Ont-ils une idée réaliste de ce qui les attend ici ?
J'ai probablement discuté avec des dizaines et des dizaines de jeunes Afghans quand j'écrivais Hinterland. Chaque cas est différent. Certains des garçons avec lesquels j'ai parlé récemment étaient motivés pour le départ du fait de situations insoutenables qu'ils ont endurées avant de partir – une vie précaire en Iran ou au Pakistan, ou alors des violences croissantes dans leur région natale en Afghanistan. Certains ont été envoyés hors d'Afghanistan tout juste après la petite enfance par leurs parents qui veulent, pour au moins l'un de leurs enfants, la sécurité ou une vie hors de portée des talibans. D'autres ont fui vers l'Iran, et ont ensuite rejoint la Turquie de leur plein gré, puis la Grèce, etc, en travaillant en chemin et poussés par l'espoir d'une vie plus facile dans le pays suivant.
Beaucoup ont occupé des emplois pénibles et rêvent d'aller à l'école. D'abord, j'étais sceptique sur ce désir d'école jusqu'à ce que je réalise qu'il n'est pas seulement dicté les passeurs ou d'autres personnes rencontrées en chemin. Ces enfants viennent fréquemment de familles pour qui l'éducation est importante, et ils sont pleinement conscients du temps qu'ils ont déjà perdu. Même les garçons qui n'ont jamais été scolarisés ont souvent reçu un enseignement de rudiments d'anglais à partir d'un livre, alors leur motivation pour aller à l'école en Europe est souvent très forte. Certains nourrissent de grands espoirs – ils veulent devenir docteur, architecte, ingénieur en informatique ou pilote. Pour eux, l'Europe est un lieu magique où tout est possible. La plupart ont seulement une vague idée de ce qui les attend. Pour certains, le chemin sera très difficile, mais il y a aussi beaucoup d'exemples impressionnants de réussite.
Selon vous, comment peut-on aider ces enfants ?
On peut les aider à deux niveaux, dans l'immédiat et à plus long terme. En plus d'un abri pour la nuit et d'un aussi pour la journée, ils ont besoin de développer un projet de vie qui prenne en compte leur désir personnel sur ce qu'ils veulent ou ont besoin de faire. Sans quoi, il sera impossible de stabiliser leur situation. Ils ont besoin d'urgence d'une éducation qui, idéalement, les aidera à rattraper le temps perdu sans l'école, sans toutefois les plaquer dans un système scolaire, ce qui les mènerait à l'échec. Certains vont réussir en apprentissage si on leur donne cette chance, d'autres pourraient plutôt continuer des études longues. Mais tous sont pressés d'avoir un métier pour devenir autosuffisants. Ils ont besoin de dons d'argent, de bourses d'études et d'apprentissage. En fait, ils ont besoin qu'on leur donne une chance.
Quelle est la différence entre écrire une fiction et faire du journalisme ? Quel est l'impact de l'un ou de l'autre sur le lecteur ?
Tout travail de fiction nécessite un acte de foi de la part du lecteur, pour qui l'auteur doit créer un monde et une subjectivité qui doit lui être crédible. Souvent la fiction fascine par son approche émotionnelle, sensorielle, la vie intérieure d'un personnage, là où le journalisme a moins d'espace pour les développer.
La fiction distille sa vérité presque comme une émanation, plutôt que par l'argumentation, les faits et des preuves développés dans un article. Le journalisme a besoin de varier ses sources pour présenter si possible tous les angles et facettes, tous les contrarguments et points de vue. C'est le résultat d'un esprit rationnel, alors que la fiction touche un autre univers et laisse davantage de place à l'ambiguïté.
Le journalisme est empirique et mon écriture s'en ressent. Hinterland est une modeste nouvelle, mais j'ai laissé libre cours à l'écriture, ce qui est souvent impossible dans le journalisme.www.unhcr.fr