REPORTAGE Un collectif d'association manifestait vendredi avec des mineurs isolés devant l'Aide sociale à l'enfance.
«On souffre, nous mineurs», «France ne me vole pas mes droits»...Pancartes à la main, une quarantaine d’adolescents a déboulé devant l’aide sociale à l’enfance, dans le XIIe arrondissement de Paris, à l'appel d'un collectif de vingt-deux associations. Un jeune prend le micro et scande pendant cinq minutes: «Mineurs étrangers, en danger dans la rue!» sous les applaudissements de ses copains.
Arrivés seuls en France de manière clandestine, souvent par des passeurs, ces mineurs isolés étrangers (MIE) seraient 6 000 sur le territoire français. Un chiffre approximatif car les mineurs isolés étrangers ne sont pas tous repérés par les services sociaux. Comme tous mineurs, ils bénéficient de la protection de l’enfance et doivent donc être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui relève des conseils généraux. Aucune distinction n’est censée être faite en fonction de la nationalité.
Pourtant, «les services de l’Aide sociale à l’enfance sont de plus en plus réticents à accueillir ces jeunes étrangers», assure Violaine Carrère, chargée d’études au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Et notamment l’ASE de Paris. Au point que le Défenseur des droits s’est saisi de la situation parisienne au printemps 2012 et devrait rendre une enquête «avant l’été». Le nombre de mineurs étranger isolés aurait «doublé en dix ans pour atteindre 700 jeunes» à Paris, selon Jean-Pierre Alaux du Gisti. «Avec la crise, je suis sûr que le nombre de mineurs isolés français a aussi augmenté. Mais aucun président de conseil général ne peste contre eux, comme il peste contre les mineurs isolés étrangers!», souligne-t-il. De son côté, la mairie de Paris a tenu dans un communiqué à «rappeler les actions engagées en leur direction au titre des compétences départementales de la collectivité parisienne», expliquant notamment que «le budget annuel qui leur est consacré est ainsi passé de 40 M€ en 2009 à près de 100M€ en 2012».
«Ils déterminent l’âge à partir des poils de moustache»
Les difficultés concernent surtout la tranche 16-18 ans, l’âge de la majorité des mineurs isolés étrangers. Selon les représentants d’associations présents sur place, l’ASE rechigne à prendre en charge ces adolescents à la lisière de l’âge adulte. En remettant tout d’abord en cause leur minorité. Elle est difficile à établir car beaucoup d’adolescents viennent de pays qui ne délivrent pas de papiers d’état civil. Quand ils en possèdent, ils sont souvent considérés comme des faux. «Un jeune avait un extrait d’état civil: on lui a dit que le papier était trop neuf par rapport à sa date de délivrance...», s’exaspère Jean-Pierre Alaux. «Alors que le Code civil est clair: si on a pas clairement établi que le papier est un faux, il faut en tenir compte». Ensuite, des tests médicaux jugés«douteux», notamment des radiographies, sont réalisés. Or, «entre 16 et 18 ans, elles sont incertaines», s’insurge Violaine Carrère. Un rapport de l’Académie nationale de médecine de 2007 l’avait clairement spécifié.
La décision va donc être prise à partir d’un entretien mené par les agents de la permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (PAOMIE), la première structure vers laquelle le mineur étranger qui arrive en France doit se tourner. «Des jeunes nous disent que c’est comme un interrogatoire de police... Ils essayent de savoir s’ils ont déjà eu des rapports sexuels pour déterminer leur âge par exemple. En fait, tout est soupçon: s’il est allé à l’école, c’est louche, s’il est pas allé à l’école c’est tout aussi louche», soupire Violaine Carrère. «La carrure l’emporte sur l’état civil: ils déterminent l’âge à partir des poils de moustache», synthétise Jean-Pierre Alaux.
«On veut aller à l’école comme tous les mineurs»
Omar, 17 ans, est arrivé de Guinée-Conakry il y a un an. Il a dormi«dans la rue et les cages d’escaliers» avant de partir pour Poitiers lorsque l’hiver est devenu trop rude. Là-bas, l’ASE l’a pris en charge. Puis il a été mis en rétention au bout de cinq mois. «Ils nous ont dit qu’ils n'avaient plus de place, qu’ils allaient devoir se débarrasser de nous. Ils m’ont alors fait passer des tests pour me déclarer majeur et me mettre en rétention pendant 35 jours», raconte avec amertume ce jeune qui pensait que «la France, ce serait bien».
Pour ceux qui arrivent à prouver qu’ils sont mineurs, la prise en charge est trop légère, selon les associations. «Dans la plupart des ASE, on va les héberger et attendre qu’ils aient 18 ans pour les foutre dehors»,synthétise Jean-Pierre Alaux. Une note interne à l’ASE daté du 22 février 2012, annonce une prise en charge au rabais pour les jeunes de plus de 17 ans. «Un hébergement, l’apprentissage du français, un accompagnement social, la prise en compte de la santé du jeune» sont proposés.
«On veut aller à l’école comme tous les mineurs», proteste une bande de jeunes qui bénéficie d’un dispositif de mise à l’abri à Gambetta. «On ne fait rien de la journée! On a juste une heure de français par jour, quatre jours par semaine», s’insurge Loveboreet, un jeune Indien arrivé en janvier. «Et des pseudo-activités culturelles», s’énerve Amadou, arrivé de Guinée-Conakry en février. Les deux rêvent de travailler dans l’informatique. Mais comme les 77 autres jeunes du foyer, ils doivent attendre que le juge se prononce sur leur cas pour bénéficier d’une formation. Certains attendent depuis quatre mois, d’autres depuis un an... Les formations proposées sont rarement qualifiantes.
Omar, 17 ans et demi, a finalement réussi à rentrer en seconde dans un lycée du XIIIe arrondissement, une fois qu’il a obtenu le statut de réfugié. Il passe désormais en 1re électro-technique mais continue de dormir dans la rue.
Leur grande peur, c’est le passage à l’âge «adulte», car ils ne sont plus protégés par leur statut de mineur et peuvent donc être «foutus dehors», comme le crie un jeune très en colère. Auparavant, certains mineurs étrangers isolés, une fois passé les 18 ans, bénéficiaient de contrats jeunes majeurs, qui permettaient un «supplément» de prise en charge jusqu’à 21 ans. «Ils se sont raréfiés ou on fait tout pour que les jeunes n’y aient pas accès», raconte Violaine Carrère. «No futur», dit la pancarte d’un des jeunes.