Alors que la Seine-Saint-Denis a annoncé la reprise progressive de l'accueil des mineurs isolés étrangers, Youphil s'est rendu à leur rencontre à Montfermeil.
A quelques pas de la cité des Bosquets, à Montfermeil, la maison Chevreul ne ressemble pas à l'image glauque que l'on se fait des foyers pour jeunes mineurs. Dans cette grande bâtisse à trois étages, entourée d'un agréable parc, la joie de vivre règne. Les polémiques récentes sur l’accueil des mineurs étrangers isolés (MIE) semblent loin.
Pourtant, dans cette "maison d’enfants à caractère sociale", gérée par l'Association d'éducation populaire Concorde, 13 garçons qui correspondent à cette catégorie administrative côtoient des adolescents en difficulté sociale.
Depuis sa création en 1984, le foyer Chevreul accueille ces enfants venus d’ailleurs. Originaires de Roumanie, d'Afghanistan, d'Egypte ou encore de Côte d'Ivoire, ces derniers ont fui la guerre, des conditions de vie misérables et sont, pour certains, demandeurs d'asile.
Confronté à l'afflux massif de ces mineurs, le président du Conseil général Claude Bartolone a poussé le 22 juillet un cri d'alerte à leur sujet,réitéré depuis. Il dénonce le désengagement de l'Etat dans leur prise en charge. "J'ai informé le Garde des Sceaux, Michel Mercier, de l'incapacité du département à accueillir dignement de nouveaux mineurs isolés étrangers au-delà du millier que nous suivons déjà à ce jour", prévenait en juillet le député socialiste.
Depuis le 1er septembre, le foyer Chevreul, qui recevait entre 5 et 6 demandes par jour n'est donc plus sollicité par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). "Les MIE ont monopolisé le système d'accueil. Comme les associations sont en suractivité, de nouvelles places ne peuvent pas être créées, commente Sylvain Lesieur, directeur du foyer Chevreul. Toutefois, en tant que lieu de vie, nos activités ne sont pas touchées".
Ici, l'accueil de ces "enfants à protéger" est loin d'être vécu comme un poids. Au contraire, la venue des mineurs isolés étrangers permet de créer une mixité au sein de la structure, un point crucial pour ce directeur. Entre la mise en place de cours de français, le recrutement d'animateurs roumains et le suivi des régularisations, l'équipe a adapté son programme éducatif à leurs besoins.
Après l'école, le dîner est donc un véritable moment de retrouvailles entre ces différentes cultures. Un éducateur à chaque coin de table, les jeunes en profitent pour confier les bobos ou les joies de leurs journées."Certains ont des carences affectives ou des barrières de langue. Les repas sont donc des temps de discussion privilégiés pour déceler leurs besoins même s'ils ont droit à leur jardin secret", précise Youssef, éducateur sportif.
Un courage à toutes épreuves
Il y a deux ans à peine, Dia était à mille lieues de la sérénité du foyer Chevreul. Après une énième cigarette, il entreprend de raconter les épreuves qui l'ont conduit en France à l'âge de 15 ans. "En Egypte, ce n'est pas l'école qui est obligatoire mais le service militaire. Comme on n'avait pas d'argent, j'ai décidé de quitter mon pays sans prévenir mes parents. Le voyage vers l'Europe m’a pris du temps. J'ai commencé par travailler dans des conditions difficiles au Soudan pendant presque un an. Avec des copains, on s'est échappé et on est passé par la Turquie, la Grèce et l'Italie avant d'atterrir en France".
A son arrivée dans l'Hexagone, il enchaîne les heures, payées au noir, et dort à même le sol d'une entreprise sans scrupules. "Il y a deux ans et demi, je ne parlais pas un mot de français. Comme je ne savais rien faire, on se moquait de moi, se souvient-il. Un jour, le service de contrôle est venu sur le chantier, j'ai eu peur qu'il me renvoie en Egypte. Mais l'Aide sociale à l'enfance m'a placé dans le foyer Chevreul. Maintenant, je suis en contrat d'apprentissage plomberie".
Désormais, le temps des galères est loin et Dia n'a plus qu'un seul objectif: réussir son CAP. Alors que d'autres jeunes traînent des pieds pour aller au lycée, lui allume son réveil à 5 heures. Il sait que cette formation est le sésame essentiel à sa régularisation. Grâce aux éducateurs, sa vie a pris un autre tournant.
Plus que des substituts parentaux, l'équipe est avant tout le premier lien des MIE avec la société française. "On ne peut pas directement envoyer nos jeunes au collège, souligne Sylvain Lesieur. Des ateliers et notamment des cours de français langue étrangère (FLE) ont donc lieu la journée. En plus, on leur assure un cadre de vie avec un accompagnement scolaire, culturel et sportif mais aussi dans leurs démarches de régularisation".
Une adolescence retrouvée
Ces "grands frères" veillent donc à l'intégration sociale des adolescents. Youssef évoque par exemple l'expérience de la pièce de théâtre Les Misérables, jouée par les jeunes devant les habitants de Montfermeil pour déjouer leurs préjugés. "Malgré leurs lourds passifs, les MIE ne sont pas si différents de leurs camarades nés en France. Ils gardent leur caractère d'adolescent et ont les mêmes centres d'intérêts, pondère cet éducateur sportif. Pourtant, la misère leur a procuré une plus grande maturité. Ils ont ainsi davantage conscience du milieu où ils vivent et participent plus facilement à l'entretien du foyer".
A l'intérieur du foyer, des activités culturelles et sportives ou de simples loisirs rythment les week-ends et sont parties intégrantes du projet éducatif. Les éducateurs assument plusieurs rôles; tout en n'oubliant jamais de les rappeler à l'ordre, ils veillent à apaiser les angoisses des MIE et portent sur eux un regard protecteur. Après leur envol, les jeunes désormais majeurs n'hésitent pas à rendre visite à ceux qui les ont aidés.
Voilà pour les plus chanceux. Mais pour ceux qui n'habitent pas au foyer Chevreul, la situation est toute autre. Alors que des jeunes sont abandonnés à la rue ou dans des squats, l'accord officialisé avec l'Etat le 10 octobre, pour une meilleure répartition des mineurs entre les départements, sera très probablement insuffisant pour faire face à l'afflux.
Depuis cette date, la Seine-Saint-Denis est chargée officiellement d'accueillir un MIE sur 10, tandis que les 9 autres seront répartis par le parquet de Paris sur le reste du territoire.(youphil.com)
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